C’est sous le signe d’une course toujours aussi serrée que se termine la semaine du 30 septembre. Non pas que ce fut le calme plat dans l’actualité, mais toutes les agitations de la semaine ne semblent pas perturber les intentions de vote.
Au national, rien n’a bougé significativement et les écarts entre les démocrates et les républicains restent à toutes fins pratiques stables (voir Tableau 1).
Pour ce qui est des intentions de vote dans les états pivots, ici aussi la tendance reste à « pas de tendance ». Les plus grandes variations dans les écarts entre républicains et démocrates sont de l’ordre de deux points de pourcentage (voir Figure 1). Rien de significatif et aucun mouvement spectaculaire d’une semaine à l’autre.
Plusieurs événements pourraient influencer le choix des électeurs… mais le feront-ils?
À titre de rappel, l’élection de 2020 s’est décidée par des marges de moins de 45 000 voix en faveur de Biden au Wisconsin (population de 5,9 millions), en Arizona (population de 7,4 millions) et en Georgie (population de 11 millions).
La fin du mois de septembre n’a pas manqué d’événements qui, chacun, n’aurait probablement qu’un impact marginal sur l’issue de la course à la présidence. Mais justement, à l’instar de l’élection de 2020, la prochaine ou le prochain président se fera probablement élire par des marges très serrées dans les états pivots.
Un mot aussi pour dire qu’en ce 7 octobre, la situation palestinienne et en Israël continue de préoccuper et qu’elle n’est pas sans conséquences pour la course à la présidence. Nombre d’électeurs musulmans perçoivent négativement le soutien à Israël et nombre d’ardents défenseurs d’Israël ne souhaitent pas de mesures qui pourraient nuire à son effort de guerre qui s’étend de plus en plus (Liban et Iran principalement). Une épine dans le pied des deux candidats, mais peut-être moins pour Trump qui serait probablement la préférence de Netanyahu comme prochain Président.
Débat du 1er octobre – Mais où étaient donc les vrais colistiers?
Le débat des colistiers était calme, civilisé, peut-être un peu trop même. Walz était à la fois en surdose de caféine et en déficit de répartie et Vance… Rien à voir avec ce que l’on connaît de lui et, surtout, une prestation qui laisse perplexe. Qui est vraiment James David Vance? Le type du débat ou celui des rassemblements partisans. Et quelle perception s’ancrera dans la tête des Américains? Vrai que le débat des vice-présidents n’est pas un déterminant majeur de l’élection, mais il reste qu’un peu plus de 43 millions de personnes étaient au poste (près des deux tiers de l’audience lors du débat Harris / Trump).
Grèves dans les ports américains
Une première depuis 1977. Le mardi 1er octobre, du Maine au Texas, les installations portuaires de la Côte Est et du golfe du Mexique subissaient une grève des débardeurs, arrêt de travail au potentiel le plus déstabilisateur de l’économie Américaine depuis longtemps (hormis la Covid). Le risque d’un impact majeur sur la chaîne d’approvisionnement était bien réel.
Harris aurait plutôt besoin de bonnes nouvelles sur ce front. Le déraillement de la chaîne logistique est susceptible de créer des retards dans les livraisons, des pénuries de certains biens de consommation courante et des réactions excessives de surstockage des consommateurs : la course au papier de toilette s’amorçait déjà le 2 octobre ! Il reste que les réserves de stocks chez les distributeurs et chez les détaillants pourraient s’épuiser rapidement si le conflit perdurait.
Nul doute que les républicains n’hésiteront pas à accuser les démocrates de n’avoir pas su protéger les Américains. Trump n’a pas l’odieux d’occuper un poste où il peut mettre fin au conflit (ou le laisser aller). Si la grève se prolonge indûment, et heureusement ça ne sera peut-être pas le cas finalement, Trump saura certainement exploiter ce hiatus logistique en blâmant l’administration Biden pour avoir préparé ce terrain miné avec tant d’incompétence.
Mais revirement de dernière heure. Une entente de principe est intervenue le jeudi 3 octobre et les débardeurs retournent au travail, pour l’instant. L’entente prévoirait, notamment, des augmentations salariales de 62 % sur six ans. Pour les autres points de négociation qui ne font pas encore l’objet d’une entente, les parties en présence ont convenu de retourner à la table de négociation jusqu’au 15 janvier 2025, ce qui écarterait la possibilité d’un dysfonctionnement majeur des infrastructures portuaires pendant le reste de la campagne présidentielle. Quelqu’une doit être soulagée !
L’ouragan Helene
La fin de semaine du 28-29 septembre a été marquée par un ouragan qui a sévèrement touché plusieurs états du sud-est américain. Lors de telles crises, la présence et le soutien des politiciens est importante pour la population et pour les autorités locales. Le nombre de décès dépasse les 225, les blessés ne se comptent plus et les dégâts matériels prendront des mois, si ce n’est des années, avant de se résorber complètement, que ce soit pour l’électricité, les réseaux de communication ou encore le rétablissement des conduites d’eau potable qui, à certains endroits, ont été sérieusement endommagées.
Les commentaires à l’effet que Biden et Harris ait pris du temps à se manifester et à se montrer sur le terrain n’ont pas tardé, alors que de l‘autre côté, Trump est accusé, comme dans toutes les situations de crise, de politiser la situation. Comment ces perceptions influenceront-elles le vote américain, en particulier dans ces états qui regroupent plus de 60 millions d’habitants?
La visite de Harris au Mur
Kamala Harris s’est rendue à la frontière mexicaine en Arizona, le vendredi 27 septembre dernier. Démarche évidemment symbolique, mais passage obligé, elle que Trump accuse d’être responsable de tous les maux des États-Unis parce que, dit-il, elle souhaite ouvrir la frontière pour laisser passer tous ces migrants.
Il accuse Harris de recourir à cette manœuvre pour profiter du vote des migrants (même s’ils n’ont pas le droit de voter !). Il pointe également du doigt la candidate démocrate pour son laxisme en matière d’immigration et dans l’affaire inventée des animaux domestiques qui sont kidnappés et mangés à Springfield en Ohio, en plus de prétendre que tous ces migrants vont finir par entrer dans les cuisines des Américains pour les égorger !
Enfin, il accuse aussi Harris d’être responsable de la hausse du coût des maisons et de l’hébergement en général, conséquence de son incompétence dans la gestion de la frontière avec le Mexique. Cet argument résonne probablement davantage dans la tête des électeurs que ceux présentés précédemment dans la mesure où la crise du logement et le coût des maisons est un problème concret aux États-Unis, tout autant qu’au Canada et qu’ici au Québec. Selon NPR, il manquerait quelque part entre 4 et 7 millions de maisons aux chez nos voisins du sud. [3]
Le maire de New York : une roche dans les bottines démocrates
Le 26 septembre dernier, CNN annonçait qu’Eric Adams, maire de New York, était mis en accusation pour corruption, fraude et acceptation de pots-de-vin en lien avec du financement électoral illégal. Et selon CNN, d’autres accusations devraient suivre. Adams est un ancien capitaine de police et devient le premier maire de New York en poste à être poursuivi pour des crimes fédéraux.
Il est aussi un démocrate, ce qui ne manque pas d’embarrasser le camp Harris. Et Trump en profite pour narguer ses opposants et pour miner la crédibilité des institutions judiciaires et légales en présentant Adams comme une autre victime des persécutions du Département de la justice. Il a beau jeu de le faire car sa base électorale, et possiblement un peu plus largement, a tendance à perdre confiance dans le système de justice américain.
Le dévoilement du rapport de Jack Smith à propos de Trump
Jack Smith est le conseiller spécial nommé en 2022 pour enquêter sur le rôle de Donald Trump dans l’attaque du Capitol le 6 janvier 2021, et pour faire la lumière sur sa gestion de cette crise majeure.
Le mercredi 2 octobre la juge Tanya Chutkan, en charge du cas d’interférence électorale contre Trump, a rendu public un important document incluant de nombreuses pages de preuves amassées dans l’enquête sur Trump en lien avec ses efforts allégués de nuire au transfert du pouvoir présidentiel suite à l’élection de 2020. [4] Ce document comporte une quantité importante de noms caviardés, d’informations amassées par les procureurs et, surtout, réoriente la preuve en fonction du récent jugement de la Cour suprême des États-Unis accordant aux présidents américains une immunité si les gestes reprochés sont des actes officiels reliés à leur fonction.
Dans ce nouveau document, la poursuite met en évidence le fait que les actions commises par Trump étaient de nature privée et non des actes officiels, et que l’élaboration du plan pour contester un éventuel résultat électoral défavorable à Trump était largement antérieur à l’élection elle-même. Mais qui plus est, et cet aspect est important, le rapport stipule, dès la première page que :
Alors que le défendant était le Président sortant pendant le déroulement du complot dont il est accusé, sa manœuvre était essentiellement une manœuvre privée. Travaillant avec une équipe de co-conspirateurs, le défendant a agi comme un candidat lorsqu’il a eu recours à divers moyens criminels pour entraver, par la fraude et la tromperie, la fonction du gouvernement en charge de la collecte et du décompte des votes, fonction par laquelle le défendant, en tant que Président, n’avait aucun rôle officiel.
Point important ici : la même planification est en train de se tramer pour l’élection de novembre prochain et Trump n’est pas le président en poste.
À surveiller
La Floride
Pour la Floride (30 GÉ), une victoire surprise des démocrates dans cet état compenserait à elle seule une défaite dans n’importe quelle combinaison de deux autres états pivots. Certains commentateurs se posent la question à savoir si Harris n’aurait pas intérêt à intensifier ses efforts de ce côté. Une publication sur le site Silver Bulletin explore cette possibilité. La Floride a déjà été un état pivot et alors que, selon Silver Bulletin, l’avance des républicains y était de près de 11 points le 21 juillet dernier, elle n’est, aujourd’hui, que de 3,3 points. Un autre site, 270ToWin, donne même à Trump une avance de 2,6 points seulement.
Mais relaxons un peu. La plupart des autres sites d’agrégation de sondages placent les républicains davantage en avance : 4,2 points pour 538, 6 points pour RCP et 4 points pour Electoral-vote.com. [5] Oui, oui, la Floride, c’est bien beau tout ça. Mais ce n’est pas le pari le moins risqué.
Le vote des jeunes
Trump n’a pas la faveur des jeunes. Dans les sondages nationaux, Harris a plusieurs points d’avance parmi les 18-34 et dans un récent sondage chez les 18-29, cette avance serait de 23 points de pourcentage parmi les jeunes électeurs enregistrés. [6] Son défi toutefois : faire sortir ces votes.
Aux États-Unis, la possibilité de voter est précédée d’un processus relativement compliqué qui peut freiner le vote des jeunes, des personnes moins intéressées par la politique et aussi de divers autres groupes sociodémographiques. La principale démarche, parfois obstacle, est de s’inscrire comme électeur et même si beaucoup d’efforts sont faits pour simplifier et rendre plus fluide ce processus, il reste que les documents et pièces d’identités requises peuvent avoir un impact significatif sur la participation aux élections (dans certains états plus que d’autres car la gestion du processus électoral revient aux états).
Les jeunes ne répondent pas tant aux sondages mais leur participation massive aux élections – 2020 fut une année record – pourrait être salvatrice pour les démocrates à cause des questions de l’avortement et des changements climatiques en particulier. Il faut aussi tenir compte d’une certaine opposition des jeunes envers le soutien des États-Unis dans l’effort de guerre Israélien, ce qui ne faisait pas partie de la donne en 2020.
Pour les jeunes, aucun des deux choix n’est idéal, mais Harris semble nettement plus attirante que Biden ne l’était… et que Trump aussi ! Et pourrait-il y avoir un effet Taylor Swift?
Le vote des Américains hors territoire
Le nombre diffère en fonction de la source, mais le Department of State indique que près de 9 millions d’américains résideraient en dehors des États-Unis, dont 1,6 millions provenant des états pivots. Ce nombre est important et pour Bruce Hayman, ancien ambassadeur des États-Unis au Canada, leur vote l’est tout autant. Toujours selon Hayman, le clan Harris fait de grands efforts pour aller chercher ces votes alors qu’environ 80 % de ces électeurs potentiels seraient démocrates. [7]
L’élection se gagnera par des majorités de quelques milliers de voix dans les états pivots. Les deux partis ont donc intérêt à ramasser le moindre vote, où qu’il traîne. L’élection de 2020 s’est décidée par des marges de moins de 45 000 voix en faveur de Biden dans les états du Wisconsin, de l’Arizona et de la Georgie. Le vote des Américains hors territoire pourrait donc être un facteur déterminant.
Sources
[1] https://projects.fivethirtyeight.com/polls/
[2] https://www.realclearpolling.com/
[3] https://www.npr.org/2024/04/23/1246623204/housing-experts-say-there-just-arent-enough-homes-in-the-u-s
[4] https://static.foxnews.com/foxnews.com/content/uploads/2024/10/jack-smith-immunity-filing.pdf
[5] https://electoral-vote.com/
[7] https://www.politico.com/news/2024/09/21/overseas-voters-election-dnc-rnc-00180366